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ÉLOGE


sance, en lui marquant des occupations plus dignes que celles que son établissement lui avoit destinées.[1]

Tout grand qu’est l’exercice de la magistrature dont M. de Montesquieu était revêtu, il s’y trouvoit resserré : il falloit une plus grande liberté à son génie. Il vendit sa charge en 1726, et l’on ne pourroit le justifier sur ce qu’il faisoit perdre par là, si, en quittant une place où il interprétoit et faisoit observer les lois, il ne se fût mis en état de perfectionner les lois mêmes.

En 1728 M. de Montesquieu se présenta pour la place de l’Académie française, vacante par la mort de M. de Sacy. Ses Lettres persanes, qui avoient paru dès 1721 avec le plus grand succès, étoient un assez bon titre ; mais la circonspection avec laquelle s’accordent les places dans cette compagnie, et quelques traits trop hardis de cet ouvrage, rendoient le titre douteux. M. le cardinal de Fleury, effrayé de ce qu’on lui en avoit rapporté, écrivit à l’Académie que le roi ne vouloit pas qu’on y admît l’auteur des Lettres persanes. Il falloit renoncer à la place ou désavouer le livre. M. de Montesquieu déclara qu’il ne s’en étoit jamais dit l’auteur, mais qu’il ne le désavoueroit jamais. Et M. le maréchal d’Estrées s’étant chargé de faire valoir cette espèce de satisfaction, M. le cardinal de Fleury lut les Lettres persanes, les trouva plus agréables que dangereuses, et M. de Montesquieu fut reçu.[2]

Quelques mois après M. de Montesquieu commença ses voyages et partit avec milord Waldgrave, son ami intime, envoyé d’Angleterre à la cour de Vienne. Il y fit assidûment sa cour au prince Eugène ; l’un jouissoit de la vue du plus grand guerrier du siècle, l’autre de la conversation de l’homme du siècle le plus spirituel et le plus aimable.

De Vienne il parcourut la Hongrie, partie de l’Europe qui a si peu tenté la curiosité des voyageurs, et qui par là n’en

  1. D’une société littéraire, il avait fait une académie des sciences.
  2. Le 24 janvier 1728. (Maup.)