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LETTRE CXXI.


ainsi, quand on ôte les hommes d’un ciel heureux, pour les envoyer dans un tel pays, on fait précisément le contraire de ce qu’on se propose.

Les Romains savaient cela par expérience : ils reléguaient tous les criminels en Sardaigne ; et ils y faisaient passer des Juifs. Il fallut se consoler de leur perte ; chose que le mépris qu’ils avaient pour ces misérables rendait très-facile.

Le grand Cha-Abas, voulant ôter aux Turcs le moyen d’entretenir de grosses armées sur les frontières, transporta presque tous les Arméniens hors de leur pays, et en envoya plus de vingt mille familles dans la province de Guilan, qui périrent presque toutes en très-peu de temps.

Tous les transports de peuples faits à Constantinople n’ont jamais réussi.

Ce nombre prodigieux de nègres, dont nous avons parlé, n’a point rempli l’Amérique. [1]

Depuis la destruction des Juifs sous Adrien, la Palestine est sans habitants.

Il faut donc avouer que les grandes destructions sont presque irréparables, parce qu’un peuple qui manque à un certain point reste dans le même état ; et si, par hasard, il se rétablit, il faut des siècles pour cela.

Que si dans un état de défaillance, la moindre des circonstances dont je t’ai parlé [2] vient à concourir, non-seulement il ne se répare pas, mais il dépérit tous les jours, et tend à son anéantissement.

L’expulsion des Maures d’Espagne se fait encore sentir

  1. Les nègres ont vécu et multiplié dans l’Amérique du Nord, et partout où on ne les détruit point par un travail écrasant.
  2. A. C. Dont nous avons parlé.