Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/445

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
423
LETTRE CXXXVI.


division n’a point affaiblie ; la seule, je crois encore, qui se fortifie à mesure de ses pertes ; et qui, lente à profiter des succès, devient indomptable par ses défaites.

Voici les historiens de France, où l’on voit d’abord la puissance des rois se former, mourir deux fois, renaître de même, languir ensuite pendant plusieurs siècles ; mais, prenant insensiblement des forces, accrue de toutes parts, monter à son dernier période : semblable à ces fleuves qui, dans leur course, perdent leurs eaux, ou se cachent sous terre ; puis, reparaissant de nouveau, grossis par les rivières qui s’y jettent, entraînent avec rapidité tout ce qui s’oppose à leur passage.

Là, vous voyez la nation espagnole sortir de quelques montagnes ; les princes mahométans subjugués aussi insensiblement qu’ils avaient rapidement conquis : tant de royaumes réunis dans une vaste monarchie, qui devint presque la seule ; jusqu’à ce qu’accablée de sa propre grandeur [1] et de sa fausse opulence, elle perdit sa force et sa réputation même, et ne conserva que l’orgueil de sa première puissance.

Ce sont ici les historiens d’Angleterre, où l’on voit la liberté sortir sans cesse des feux de la discorde et de la sédition ; le prince, toujours chancelant sur un trône inébranlable ; une nation impatiente, sage dans sa fureur même ; et qui, maîtresse de la mer (chose inouïe jusqu’alors), mêle le commerce avec l’empire.

Tout près de là sont les historiens de cette autre reine de la mer, la république de Hollande, si respectée en Europe, et si formidable en Asie, où ses négociants voient tant de rois prosternés devant eux.

  1. De sa propre grandeur, manque dans A. et dans C.