Aller au contenu

Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
31
PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.


de joindre à l’édition des Lettres persanes de 1744. En Angleterre, il parut de Nouvelles Lettres persanes traduites en français, dès l’année 1735, et portant pour épigraphe :

« Non ita certandi cupidus, quam propter amorem
Quod te imitari aveo. »

C’est une satire des mœurs anglaises faite par une main peu légère. Du reste, toutes ces imitations, qui amusent les contemporains, n’ont pour effet que de faire sentir par comparaison la différence qui sépare un grand peintre d’un copiste ou d’un barbouilleur. On peut surprendre les procédés d’un artiste, et en reproduire la manière ; on n’imite pas le génie.

Si dans la république des lettres on accueillit avec faveur l’écrivain hardi qui débutait par un coup de maitre, il n’en fut pas de même de ce qu’on appelle aujourd’hui le monde officiel. Si faciles que fussent les mœurs et si libres que fussent les salons de Paris, cette liberté était plus apparente que réelle ; la cour et les ministres avaient peu de goût pour les téméraires qui osaient toucher aux préjugés établis. Un gouvernement absolu n’entend point raillerie. Montesquieu ne fut pas longtemps à s’en apercevoir ; c’est lui-même qui nous l’apprend.

« En entrant dans le monde, nous dit-il, on m’annonça comme un homme d’esprit, et je reçus un accueil assez favorable des gens en place ; mais lorsque par le succès des Lettres persanes, j’eus peut-être prouvé que j’en avais, et que j’eus obtenu quelque estime du public, celle des gens en place se refroidit ; j’essuyai mille dégoûts. Comptez qu’intérieurement blessés de la réputation d’un homme célêlèbre, c’est pour s’en venger qu’ils l’humilient, et qu’il faut soi-même mériter beaucoup d’éloges pour supporter patiemment l’éloge d’autrui. [1] »

Aussitôt après la publication des Lettres persanes, Montesquieu vint à Paris pour y jouir de sa réputation. Il trouvait que dans la grande ville la société était plus aimable qu’à la cour, encore bien qu’elle fût composée des mêmes personnes, par la

  1. Pensées diverses.