Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
37
PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.


l’Académie, l’abbé Mallet, fait allusion aux Lettres persanes, mais pour railler finement le nouvel académicien sur un désaveu qui ne pouvait tromper personne. Oté ce livre, qui n’avait fait que trop de bruit, quels étaient les titres du président pour entrer à l’Académie ? Deux ou trois dissertations savantes, plus connues à Bordeaux qu’à Paris. Le bagage littéraire était mince. Dans un langage à double entente, qui devait d’autant mieux plaire aux auditeurs qu’ils étaient dans le secret de la comédie, l’abbé Mallet suppose que l’Académie reçoit Montesquieu sur la réputation des ouvrages qu’il garde en portefeuille. « Hâtez-vous, lui dit-il ; vous serez prévenu par le public si vous ne le prévenez. Le génie qu’il remarque en vous le déterminera à vous attribuer les ouvrages anonymes où il trouvera de l’imagination, de la vivacité, des traits hardis ; et pour faire honneur à votre esprit, il vous les donnera, malgré les précautions que vous suggérera votre prudence. Les plus grands hommes ont été exposés à ces sortes d’injustices. Rendez donc au plus tôt vos ouvrages publics et marchez à la gloire que vous méritez. »

La fin du discours n’est pas moins malicieuse. L’abbé fait l’éloge du cardinal de façon que personne n’ignore le rôle qu’il a joué dans l’élection académique. « Ce cardinal, dit-il, également judicieux et actif, pénètre avec facilité le fond des affaires les plus importantes, en démêle toutes les circonstances, en prévient toutes les suites, et prend les moyens les plus sages et les plus doux pour les concilier. » Ce sont là, dira-t-on, des phrases générales. Le public ne s’y trompait pas, ni Montesquieu non plus. « Le président, écrit Marais à la date du 8 février 1728, donne sa harangue à part, ne l’ayant pas voulu joindre avec celle de M. Mallet, qui est une satire. Je n’ai encore vu ni l’une ni l’autre ; toutes ces tracasseries me dégoûtent. [1] »

Vingt-sept ans plus tard, M. de Châteaubrun, prenant à l’Académie le fauteuil de Montesquieu, faisait l’éloge des Considérations sur la grandeur des Romains, de l’Esprit des lois, et même du Temple de Gnide ; mais arrivé aux Lettres persanes, il prononçait ces paroles énigmatiques : « Quel est ce nouveau genre de correspondances ?... Mais lui-même les couvre d’un voile, et les

  1. Journal et Mémoires, etc., t. III, p. 580