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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/58

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PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.


l’Académie comme une injure, vit le ministre, lui déclara que, pour des raisons particulières, il n’avouait point les Lettres persanes, mais qu’il était encore plus éloigné de désavouer un ouvrage dont il croyait n’avoir point à rougir, et que, d’ailleurs, il devait être jugé après lecture et non sur une délation.


« Le ministre, continue d’Alembert, prit enfin le parti par où il aurait dû commencer ; il lut le livre, aima l’auteur ( ?) et apprit à mieux placer sa confiance ; l’Académie française ne fut point privée d’un de ses plus beaux ornements, et la France eut le bonheur de conserver un sujet que la superstition et la calomnie étaient prêtes à lui faire perdre : car M. de Montesquieu avait déclaré au gouvernement, qu’après l’espèce d’outrage qu’on allait lui faire, il irait chercher chez les étrangers, qui lui tendaient les bras, la sûreté, le repos, et peut-être les récompenses qu’il aurait dû espérer dans son pays. La nation eût déploré cette perte, et la honte en fût pourtant retombée sur elle. »


Quelque respect que j’aie pour d’Alembert, j’avoue que j’ai de grands doutes sur cette menace de Montesquieu. Une telle attitude ne convient guère au caractère modéré de l’homme ; elle n’est point davantage dans l’esprit du temps. Au dernier siècle, on ne s’expatriait que pour échapper à la persécution religieuse ; un Français était trop fier de son pays pour l’abandonner.

J’ajoute que la lettre par laquelle le cardinal de Fleury autorisa l’élection suppose que Montesquieu s’engagea tout au moins à ne jamais s’avouer publiquement l’auteur des Lettres persanes. Si je comprends bien cette lettre, publiée par M. Vian, le cardinal félicite le secrétaire perpétuel de n’avoir pas fait figurer dans le procès-verbal de la séance du 11 décembre 1727 les raisons qui ont fait ajourner l’élection. Il ajoute : « La soumission de M. le président de Montesquieu a été si entière, qu’il ne mérite pas qu’on laisse aucun vestige de ce qui pourrait porter préjudice à sa réputation, et tout le monde est si instruit de ce qui s’est passé, qu’il n’y a aucun inconvénient à craindre sur le silence que gardera l’Académie. »

Là, je crois, est la vérité. Cette opinion est conforme à ce que dit Marais. [1] Il est au moins remarquable que, dans sa réponse au discours de réception que prononça Montesquieu, le directeur de

  1. Sup., p. 30, note 3