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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/64

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PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.


pleines mains les idées nouvelles. Il est telle lettre qui contient en germe l’Esprit des lois, [1] il en est telle autre qui en quelques lignes réfute les erreurs, condamne les abominations séculaires de la législation criminelle. Quelques mots sur la nature et la proportion des peines inspireront un jour Beccaria. C’est à cette fécondité qu’on reconnaît le génie. Il y a dans les Lettres persanes cinquante réflexions qui, si on les creusait, suffiraient, chacune, à remplir un volume. Citerai-je la définition du meilleur gouvernement, « celui qui va à son but à moins de frais, celui qui conduit les hommes de la façon qui convient le mieux à leur penchant et à leur inclination ? [2] » C’est la conclusion à laquelle Goethe en est arrivé quand il écrit : « Le meilleur gouvernement est celui qui apprend aux hommes à se gouverner eux-mêmes ; » c’est, malheureusement, une idée trop simple pour entrer dans la tête de nos politiques et de nos hommes d’État.

Qu’on lise ce qu’Usbek écrit sur le droit des gens, et qu’on dise si la conscience des princes s’est éclairée depuis un siècle et demi ? « Ce droit, tel qu’il est aujourd’hui, est une science qui apprend aux princes jusqu’à quel point ils peuvent violer la justice sans choquer leurs intérêts. Quel dessein de vouloir, pour endurcir leur conscience, mettre l’iniquité en système, d’en donner des règles, d’en former des principes, et d’en tirer des conséquences !

« On dirait qu’il y a deux justices toutes différentes : l’une qui règle les affaires des particuliers, qui règne dans le droit civil ; l’autre qui règle les différends qui surviennent de peuple à peuple, qui tyrannise dans le droit public : comme si le droit public n’était pas lui-même un droit civil ; non pas à la vérité d’un pays particulier, mais du monde. [3] »

C’est par ces idées, c’est par ces accents que Montesquieu se sépare du XVIIe siècle, et qu’il donne le ton au XVIIIe. La pompe de Louis XIV ne l’éblouit point ; il hait le despotisme, il aime la liberté, il a une passion des plus vives pour l’humanité. Montesquieu n’a point laissé la réputation d’une âme sensible, encore

  1. Lettres 83 et 95 sur la justice ; lettres 83 et 131 sur les gouvernements, etc.
  2. Lettre 80.
  3. Lettre 94.