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LE TEMPLE DE GNIDE.


Il faut exterminer ces troupeaux que je voi,
Poursuivre ces bergers de qui l’amour m’afflige...
Mais non, je vois un temple, il peut être à l’Amour ;
Renversons sa statue, et qu’il tremble à son tour !
Je dis, et nous volons, pleins du même vertige ;
L’ardeur de faire un crime irrite nos efforts :
Rien ne nous retient plus ; nous courons les montagnes :
Nous traversons les bois, les guérets, les campagnes ;
Une source paraît, nous franchissons ses bords.
Que peut contre les dieux le vain courroux des hommes ?
Confondus, étonnés du désordre où nous sommes,
A peine, dans le temple, avons-nous fait un pas,
Qu’un charme impérieux semble enchaîner nos bras.

Bacchus de nos transports faisait cesser l’audace :
Ce temple était le sien. Grand dieu ! je te rends grâce.
Moins pour avoir calmé mes honteuses fureurs,
Que pour m’avoir d’un crime épargné les horreurs !
A ces mots, m’approchant des autels que j’embrasse :
O prêtresse, ai-je dit, le dieu que vous priez
Vient de nous apaiser par son secours propice ;
Daignez ici, pour nous, lui faire un sacrifice.
Je cherche une victime et l’apporte à ses pieds.

Lorsque le fer brillait aux mains de la prêtresse,
Aristée éleva ces accents d’allégresse :

Bacchus ! dieu bienfaisant ! dieu des ris et des jeux !
Tu fais régner la joie et son léger tumulte :
Pour ta divinité nos plaisirs sont un culte ;
Tu ne veux être aimé que des mortels heureux.

Saisi de ton ivresse, en vain l’esprit s’égare ;
ll se retrouve encor dans ce doux abandon ;
Mais, quand il est troublé par quelque dieu barbare,
Tu peux seul, ô Bacchus ! lui rendre la raison.

La noire Jalousie, aux fers de l’esclavage