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LE TEMPLE DE GNIDE.


Voudrait assujettir le dieu qui fait aimer :
Mais tu brises les traits dont elle ose s’armer,
Et tu la fais rentrer dans son antre sauvage.

Après le sacrifice, on vint autour de nous,
Et je fis le récit de nos transports jaloux.
Bientôt nous entendons mille voix éclatantes
Au son des instruments marier leurs concerts :
Je sors, et vois courir des troupes de Bacchantes,
Qui, l’œil en feu, le front orné de pampres verts,
Laissant aux vents le soin de leurs tresses flottantes.
Agitaient à grand bruit leurs thyrses dans les airs.
Tout le joyeux cortège environnait Silène :
La tête du vieillard vacillante, incertaine.
Allait chercher la terre ou tombait sur son sein :
Dès qu’on l’abandonnait, penché vers sa monture,
Son corps se balançait par égale mesure,
Se baissait, se dressait, se rebaissait soudain.
La troupe avait le front tout barbouillé de lie ;
Pan se montrait ensuite avec ses chalumeaux ;
Les Satyres dansaient, ceints de pampres nouveaux ;
Le désordre, la joie et l’aimable folie
Confondaient les chansons, les jeux et les bons mots.
Enfin, je vis Bacchus, gai, riant, plein de charmes,
Tel que l’Inde le vit au bout de l’univers,
Distribuant partout des plaisirs et des fers.
De la jeune Ariane il essuyait les larmes ;
Pour son ingrat Thésée elle pleurait encor,
Quand Bacchus, dans les cieux, mit sa couronne d’or
Et, s’il n’eût triomphé des pleurs de cette belle,
Son amour l’allait rendre infortuné comme elle.
Aimez-moi, disait-il, Thésée est loin de vous ;
Oubliez à jamais le nom de l’infidèle ;
Ne voyez que le dieu qui brûle à vos genoux ;
Pour vous aimer toujours, je vous rends immortelle.

Bacchus était traîné par des tigres fougueux ;
Il sortit de son char, conduisant son amante ;