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LE TEMPLE DE GNIDE.


Bientôt nous arrivons près de l’antre fameux
D’où sortent les arrêts que l’oracle prononce :
Tout le peuple, roulant à flots tumultueux,
Avec un bruit confus attendait sa réponse.
Je m’avance : Aristée emporté loin de moi,
Aristée est déjà dans les bras de Camille :
J’appelle encor Thémire ; enfin je l’aperçoi !
Furieux, j’allais dire : Ah ! perfide, est-ce toi ?...
Mais elle me regarde, et je deviens tranquille.
Ainsi, lorsqu’Alecto vient troubler l’univers,
Un seul regard des dieux la renvoie aux enfers.

Ah ! dit-elle, pour toi j’ai versé bien des larmes !
Le soleil a trois fois parcouru ces climats,
Depuis que tu nourris mes mortelles alarmes.
Je disais : Non, mes yeux ne le reverront pas.
Quel noir pressentiment ! Dieux puissants que j’implore !
Dieux tant de fois témoins de nos tendres amours !
Je ne demande point si son cœur m’aime encore ;
Je ne veux que savoir le destin de ses jours :
S’il vit, puis-je douter qu’il ne m’aime toujours ?

Excuse, m’écriai-je, excuse mon délire !
La sombre jalousie a troublé mes esprits :
J’allais haïr... ô ciel !... et ma fureur expire ;
Mais après le danger de perdre ma Thémire
De ma félicité je sens mieux tout le prix.
Viens donc sous ces berceaux où l’amour nous appelle ;
Les dieux ont pu tromper, mais non changer mon cœur
Viens, c’est un crime affreux de te croire infidèle,
Et je veux par ma flamme en expier l’horreur.

Non, jamais des enfers les retraites heureuses,
Faites pour le repos des ombres vertueuses,
Ni les bois de Dodone, et ses chênes sacrés,
Ni ces riches bosquets où sont des fruits dorés,
Jamais tous ces beaux lieux n’auraient su me séduire,
Autant que le bocage embelli par Thémire.