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DES ROMAINS, CHAP. I.

Les consuls, ne pouvant obtenir l’honneur du triomphe que par une conquête ou une victoire, faisaient la guerre avec une impétuosité extrême : on allait droit à l’ennemi, et la force décidait d’abord.

Rome était donc dans une guerre éternelle et toujours violente. Or une nation toujours en guerre[1], et par principe de gouvernement, devait nécessairement périr ou venir à bout de toutes les autres, qui, tantôt en guerre, tantôt en paix, n’étaient jamais si propres à attaquer, ni si préparées à se défendre.

Par là, les Romains acquirent une profonde connaissance de l’art militaire. Dans les guerres passagères, la plupart des exemples sont perdus : la paix donne d’autres idées, et on oublie ses fautes et ses vertus mêmes.

Une autre suite du principe de la guerre continuelle fut que les Romains ne firent jamais la paix que vainqueurs. En effet, à quoi bon faire une paix honteuse avec un peuple, pour en aller attaquer un autre ?

Dans cette idée, ils augmentaient toujours leurs prétentions à mesure de leurs défaites[2] ; par là, ils consternaient les vainqueurs et s’imposaient à eux-mêmes une plus grande nécessité de vaincre.

Toujours exposés aux plus affreuses vengeances, la constance et la valeur leur devinrent nécessaires[3], et ces vertus ne purent être distinguées chez eux de l’amour de

  1. A. met ici la note suivante : « Les Romains regardoient les étrangers comme des ennemis : hostis selon Varron, De lingua latina, liv. IV, signifiant au commencement un étranger qui vivoit dans ses propres lois. »
  2. Romani enim graviores tunc sunt quando vincutur. Vie de Valérien dans les Historiæ Augustæ scriptores. C’est une vieille maxime de la politique romaine qui survécut à la décadence de l’Empire. V. inf., ch. IV. Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, IIIe partie, ch. VI.
  3. A. Leur devinrent des vertus nécessaires ; et elles ne purent, etc.