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GRANDEUR ET DÉCADENCE


soi-même, de sa famille, de sa patrie et de tout ce qu’il y a de plus cher parmi les hommes[1].

Les peuples d’Italie n’avaient aucun usage des machines propres à faire les sièges[2], et, de plus, les soldats n’ayant point de paie, on ne pouvait pas les retenir longtemps devant une place ; ainsi peu de leurs guerres étaient décisives. On se battait pour avoir le pillage du camp ennemi ou de ses terres ; après quoi le vainqueur et le vaincu se retiraient chacun dans sa ville. C’est ce qui fit la résistance des peuples d’Italie et, en même temps, l’opiniâtreté des Romains à les subjuguer ; c’est ce qui donna à ceux-ci des victoires qui ne les corrompirent point, et qui leur laissèrent toute leur pauvreté.

  1. A. ajoute le paragraphe suivant :
    « Il était arrivé à l’Italie ce que l’Amérique a éprouvé de nos jours : les naturels du pays, faibles et dispersés, ayant cédé leurs terres à de nouveaux habitants, elle était peuplée par trois différentes nations, les Toscans (*), les Gaulois et les Grecs. Les Gaulois n’avaient aucune relation avec les Grecs ni avec les Toscans (**) ; ceux-ci composaient une association qui avait une langue, des manières et des mœurs particulières ; et les colonies grecques, qui tiraient leur origine de différents peuples souvent ennemis, avaient des intérêts assez séparés.
    Le monde de ce temps-là n’était pas comme notre monde d’aujourd’hui : les voyages, les conquêtes, le commerce, l’établissement des grands états, les inventions des postes, de la boussole et de l’imprimerie, une certaine police générale, ont facilité les communications et établi parmi nous un art qu’on appelle la politique : chacun voit d’un coup d’œil ce qui se remue dans l’univers ; et pour peu qu’un peuple montre d’ambition, il effraie d’abord tous les autres. »
  2. Denys d’Halicarnasse le dit formellement (IX) ; et cela paraît par l’histoire. Ils ne savaient point faire de galeries pour se mettre à couvert des assiégés : ils tâchaient de prendre les villes par escalade. Éphorus a écrit qu’Artémon, ingénieur, inventa les grosses machines pour battre les plus fortes murailles. Périclès s’en servit le premier au siège de Samos, dit Plutarque, Vie de Périclès. (M.)

    (*) C’est ainsi que l’auteur nomme toujours les Étrusques.

    (**) A. Met en note : « On ne sait pas bien si ils (les Toscans) étoient du pays, ou venu d’ailleurs. Denys d’Halicarnasse les croit naturels d’Italie. » L. I. (M.)