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GRANDEUR ET DÉCADENCE


pour lors que d’environ cent trente-sept mille citoyens.

Carthage employait plus de forces pour attaquer ; Rome, pour se défendre : celle-ci, comme on vient de dire[1], arma un nombre d’hommes prodigieux contre les Gaulois et Annibal, qui l’attaquaient, et elle n’envoya que deux légions contre les plus grands rois ; ce qui rendit ses forces éternelles.

L’établissement de Carthage dans son pays était moins solide que celui de Rome dans le sien. Cette dernière avait trente colonies autour d’elle, qui en étaient comme les remparts[2]. Avant la bataille de Cannes, aucun allié ne l’avait abandonnée ; c’est que les Samnites et les autres peuples d’Italie étaient accoutumés à sa domination.

La plupart des villes d’Afrique, étant peu fortifiées, se rendaient d’abord à quiconque se présentait pour les prendre. Aussi tous ceux qui y débarquèrent, Agathocle, Régulus, Scipion, mirent-ils d’abord Carthage au désespoir.

On ne peut guère attribuer qu’à un mauvais gouvernement ce qui leur arriva dans toute la guerre que leur fit le premier Scipion : leur ville et leurs armées même étaient affamées, tandis que les Romains étaient dans l’abondance de toutes choses[3].

Chez les Carthaginois, les armées qui avaient été battues devenaient plus insolentes ; quelquefois elles mettaient en croix leurs généraux et les punissaient de leur propre lâcheté. Chez les Romains, le consul décimait les troupes qui avaient fui, et les ramenait contre les ennemis.

  1. A. Elle arma, comme nous venons de dire, un nombre, etc.
  2. Tite-Live, liv. XXVII, ch. IX et X. (M.)
  3. Voyez Appien, Liber Libycus seu de Rebus Punicis, ch. XXV. (M.)