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DES ROMAINS, CHAP. VIII.


la religion même, les institutions anciennes et la suppression des jours d’assemblée sous prétexte que les auspices n’avaient pas été favorables, par les clients[1], par l’opposition d’un tribun à un autre, par la création d’un dictateur[2], les occupations d’une nouvelle guerre ou les malheurs qui réunissaient tous les intérêts, enfin, par une condescendance paternelle à accorder au peuple une partie de ses demandes pour lui faire abandonner les autres, et cette maxime constante de préférer la conservation de la République aux prérogatives de quelque ordre ou de quelque magistrature que ce fût.

Dans la suite des temps, lorsque les plébéiens eurent tellement abaissé les patriciens que cette distinction de famille devint vaine[3], et que les unes et les autres furent indifféremment élevées aux honneurs, il y eut de nouvelles disputes entre le bas peuple, agité par ses tribuns, et les principales familles patriciennes ou plébéiennes, qu’on appela les nobles, et qui avaient pour elles le sénat, qui en était composé. Mais, comme les mœurs anciennes n’étaient plus, que des particuliers avaient des richesses immenses, et qu’il est impossible que les richesses ne

    charge des patriciens ; il fut obligé de se lier les mains et d’établir qu’il y auroit toujours un consul plébéien. Et quand quelques familles plébéiennes entrèrent dans les charges, elles y furent ensuite continuellement portées. C’étoient avec peine que le peuple, dans le désir d’abaisser la noblesse, l’abaissoit en effet ; et quand il élevoit aux honneurs quelques hommes du néant comme Varron et Marius, ce fut une victoire qu’il gagna sur lui-même.

  1. A. Par ses clients.
  2. Les patriciens, pour se défendre, avaient coutume de créer un dictateur : ce qui leur réussissait admirablement bien ; mais les plébéiens, ayant obtenu de pouvoir être élus consuls, purent aussi être élus dictateurs ; ce qui déconcerta les patriciens. Voyez dans Tite-Live, liv. VIII, chap. XII, comment Publilius Philo les abaissa dans sa dictature : il fit trois lois qui leur furent très préjudiciables. (M.)
  3. Les patriciens ne conservèrent que quelques sacerdoces, et le droit de créer un magistrat qu’on appelait entre-roi. (M.)