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GRANDEUR ET DÉCADENCE


donnent du pouvoir, les nobles résistèrent avec plus de force que les patriciens n’avaient fait ; ce qui fut cause de la mort des Gracques et de plusieurs de ceux qui travaillèrent sur leur plan[1].

Il faut que je parle d’une magistrature qui contribua beaucoup à maintenir le gouvernement de Rome : ce fut celle des censeurs. Ils faisaient le dénombrement du peuple[2] ; et, de plus, comme la force de la République consistait dans la discipline, l’austérité des mœurs et l’observation constante de certaines coutumes, ils corrigeaient les abus que la loi n’avait pas prévus, ou que le magistrat ordinaire ne pouvait pas punir[3]. Il y a de mauvais exemples qui sont pires que les crimes, et plus d’États ont péri parce qu’on a violé les mœurs, que parce qu’on a violé les lois. À Rome, tout ce qui pouvait introduire des nouveautés dangereuses, changer le cœur ou l’esprit du citoyen, et en empêcher, si j’ose me servir de ce terme, la perpétuité, les désordres domestiques ou publics, étaient réformés par les censeurs : ils pouvaient chasser du Sénat qui ils voulaient, ôter à un chevalier le cheval qui lui était entretenu par le public, mettre un citoyen dans une autre tribu et même parmi ceux qui payaient les charges de la ville sans avoir part à ses privilèges[4].

  1. Comme Saturninus et Glaucias. (M.)
  2. A. met ici la note suivante : Le cens lui-même ou le dénombrement des citoyens étoit une chose très-sage, c’étoit une reconaissance de l’état de ses affaires, et un examen de sa puissance ; il fut établi par Servius Tullius. Avant lui, dit Eutrope ; liv. I, le cens étoit inconnu dans le monde. (M.)
  3. On peut voir comme ils dégradèrent ceux qui, après la bataille de Cannes, avaient été d’avis d’abandonner l’Italie ; ceux qui s’étaient rendus à Annibal ; ceux qui, par une mauvaise interprétation, lui avaient manqué de parole. (M.)
  4. Cela s’appelait Ærarium aliquem facere aut in Cœritum tabulas