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DES ROMAINS, CHAP. XI.


lui, et qu’il ne les conquit pas moins que les Barbares. Si César n’avait point eu le gouvernement de la Gaule Transalpine, il n’aurait pas corrompu ses soldats, ni fait respecter son nom par tant de victoires. S’il n’avait pas eu celui de la Gaule Cisalpine, Pompée aurait pu l’arrêter au passage des Alpes ; au lieu que, dès le commencement de la guerre, il fut obligé d’abandonner l’Italie ; ce qui fit perdre à son parti la réputation, qui, dans les guerres civiles, est la puissance même.

La même frayeur qu’Annibal porta dans Rome après la bataille de Cannes, César l’y répandit lorsqu’il passa le Rubicon. Pompée, éperdu, ne vit, dans les premiers moments de la guerre, de parti à prendre que celui qui reste dans les affaires désespérées : il ne sut que céder et que fuir ; il sortit de Rome, y laissa le trésor public ; il ne put nulle part retarder le vainqueur ; il abandonna une partie de ses troupes, toute l’Italie, et passa la mer.

On parle beaucoup de la fortune de César. Mais cet homme extraordinaire avait tant de grandes qualités, sans pas un défaut, quoiqu’il eût bien des vices, qu’il eût été bien difficile que, quelque armée qu’il eût commandée, il n’eût été vainqueur ; et qu’en quelque république qu’il fût né, il ne l’eût gouvernée.

César, après avoir défait les lieutenants de Pompée en Espagne, alla en Grèce le chercher lui-même. Pompée, qui avait la côte de la mer et des forces supérieures, était sur le point de voir l’armée de César détruite par la misère et la faim. Mais, comme il avait souverainement le faible de vouloir être approuvé, il ne pouvait s’empêcher de prêter l’oreille aux vains discours de ses gens[1], qui le rail-

  1. Ses partisans, ses lieutenants.