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GRANDEUR ET DÉCADENCE


laient ou l’accusaient sans cesse[1]. — Il veut, disait l’un, se perpétuer dans le commandement et être, comme Agamemnon, le roi des rois. — « Je vous avertis, disait un autre, que nous ne mangerons pas encore cette année des figues de Tusculum. — Quelques succès particuliers qu’il eut achevèrent de tourner la tête à cette troupe sénatoriale. Ainsi, pour n’être pas blâmé, il fit une chose que la postérité blâmera toujours, de sacrifier tant d’avantages pour aller avec des troupes nouvelles combattre une armée qui avait vaincu tant de fois.

Lorsque les restes de Pharsale se furent retirés en Afrique, Scipion, qui les commandait, ne voulut jamais suivre l’avis de Caton, de traîner la guerre en longueur : enflé de quelques avantages, il risqua tout et perdit tout ; et, lorsque Brutus et Cassius rétablirent ce parti, la même précipitation perdit la République une troisième fois[2].

Vous remarquerez que, dans ces guerres civiles qui durèrent si longtemps, la puissance de Rome s’accrut sans cesse au-dehors : sous Marius, Sylla, Pompée, César, Antoine, Auguste, Rome, toujours plus terrible, acheva de détruire tous les rois qui restaient encore.

Il n’y a point d’État qui menace si fort les autres d’une conquête que celui qui est dans les horreurs de la guerre civile : tout le monde, noble, bourgeois, artisan, laboureur, y devient soldat ; et, lorsque, par la paix, les forces sont réunies, cet État a de grands avantages sur les autres, qui n’ont guère que des citoyens. D’ailleurs, dans

  1. Voyez Plutarque, Vie de Pompée. (M.)
  2. Cela est bien expliqué dans Appien, De la Guerre civile, liv. IV, ch. CVIII et suiv. L’armée d’Octave et d’Antoine aurait péri de faim si l’on n’avait pas donné la bataille. (M.)