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GRANDEUR DES ROMAINS, CHAP. XII.


sent, dans son absence, la tranquillité de son gouvernement. Ainsi, après sa mort, ceux de son parti se sentirent des ressources pour longtemps.

Comme le Sénat avait approuvé tous les actes de César sans restriction, et que l’exécution en fut donnée aux consuls, Antoine, qui l’était, se saisit du livre de raison[1] de César, gagna son secrétaire, et y fit écrire tout ce qu’il voulut, de manière que le Dictateur régnait plus impérieusement que pendant sa vie : car ce qu’il n’aurait jamais fait, Antoine le faisait ; l’argent qu’il n’aurait jamais donné, Antoine le donnait ; et tout homme qui avait de mauvaises intentions contre la République trouvait soudain une récompense dans les livres de César.

Par un nouveau malheur, César avait amassé pour son expédition des sommes immenses[2], qu’il avait mises dans le Temple d’Ops. Antoine, avec son livre, en disposa à sa fantaisie.

Les conjurés avaient d’abord résolu de jeter le corps de César dans le Tibre[3] ; ils n’y auraient trouvé nul obstacle : car, dans ces moments d’étonnement qui suivent une action inopinée, il est facile de faire tout ce qu’on peut oser. Cela ne fut point exécuté[4], et voici ce qui en arriva.

Le Sénat se crut obligé de permettre qu’on fît les

  1. Le livre de raison, ou livre de compte, est le registre sur lequel on inscrit ses dépenses et ses recettes. Les latins le nommoient commentarii. Cicéron, Philippiques, V, IV.
  2. Sept cent millions de sesterces, près de cent trente-six millions de francs.
  3. Cela n’aurait pas été sans exemple : après que Tibérius Gracchus eut été tué, Lucrétius, édile, qui fut depuis appelé Vespillo, jeta son corps dans le Tibre. Aurélius Victor, De Vir. illust., ch. LXIV. (M.)
  4. Suet., in Julio, ch. LXXXII. (M.)