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DES ROMAINS, CHAP. XIV.


fit mourir tant de gens, que les délateurs purent enfin faire leur métier tout à leur aise, et que l’accusation de lèse-majesté, ce crime, dit Pline, de ceux à qui on ne peut point imputer de crime[1], fut étendue à ce qu’on voulut.

Je crois pourtant que quelques-uns de ces titres d’accusation n’étaient pas si ridicules qu’ils nous paraissent aujourd’hui, et je ne puis penser que Tibère eût fait accuser un homme pour avoir vendu avec sa maison la statue de l’Empereur[2], que Domitien eût fait condamner à mort une femme pour s’être déshabillée devant son image, et un citoyen parce qu’il avait la description de toute la terre peinte sur les murailles de sa chambre[3], si ces actions n’avaient réveillé dans l’esprit des Romains que l’idée qu’elles nous donnent à présent. Je crois qu’une partie de cela est fondée sur ce que, Rome ayant changé de gouvernement, ce qui ne nous paraît pas de conséquence pouvait l’être pour lors. J’en juge par ce que nous voyons aujourd’hui chez une nation qui ne peut pas être soupçonnée de tyrannie, où il est défendu[4]de boire à la santé d’une certaine personne[5].

Je ne puis rien passer qui serve à faire connaître le génie du peuple romain. Il s’était si fort accoutumé à obéir et à faire toute sa félicité de la différence de ses maîtres qu’après la mort de Germanicus, il donna des

  1. Unicum crimen eorum qui crimin vacarent. Plinc, Panegyr. c. 42. Tacite, Ann., II, 72.
  2. Tacite, Ann., II, 73. Tibère n’accusa pas Falanius, tout au contraire, il le protégea.
  3. Suèt., in Domit., c. x. Il y avait d’autres charges contre l’accusé et notamment : quod habere imperatoriam genesin vulgo ferebatur ; c’est-à-dire qu’un horoscope lui promettait l’empire.
  4. A. Où c’est un crime capital de boire, etc.
  5. En Angleterre il était défendu de boire à la santé du jeune homme qui est de l’autre côté de l’eau, c’est à dire du prétendant.