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DES ROMAINS, CHAP. XXII.

On ne peut pas plus finir leurs affaires en écoutant leurs subtilités qu’on ne pourrait abolir les duels en établissant des écoles où l’on raffinerait sur le point d’honneur[1].

Les empereurs grecs eurent si peu de prudence que, quand les disputes furent endormies, ils eurent la rage de les réveiller. Anastase[2], Justinien[3], Héraclius[4], Manuel Comnène[5], proposèrent des points de foi[6] à leur clergé et à leur peuple, qui aurait méconnu la vérité dans leur bouche quand même ils l’auraient trouvée. Ainsi, péchant toujours dans la forme et ordinairement dans le fond, voulant faire voir leur pénétration, qu’ils auraient pu si bien montrer dans tant d’autres affaires qui leur étaient confiées, ils entreprirent des disputes vaines sur la nature de Dieu, qui, se cachant aux savants, parce qu’ils sont orgueilleux, ne se montre pas mieux aux grands de la Terre.

C’est une erreur de croire qu’il y ait dans le monde une autorité humaine, à tous les égards despotique ; il n’y en a jamais eu, et il n’y en aura jamais. Le pouvoir le plus immense est toujours borné par quelque coin. Que le Grand Seigneur mette un nouvel impôt à Constantinople,

  1. Rien de plus actuel que ces réflexions au temps où écrivait l'auteur. Le règne de Louis XV a été sans cesse troublé par des querelles de théologiens. Qu'on lise les mémoires de Mathieu Marais, de d'Argenson ou de Barbier, on verra que la théologie tenait alors en France la place qu'y tient aujourd'hui le politique. Les partis n'y étoient pas moins violents, ni les disputes moins stériles.
  2. Évagre, liv. III. (M.) A. dit : Léon, Justinien, etc. ; il ne nomme point Anastase.
  3. Procope, Histoire secrète. (M.)
  4. Zonaras, Vie d’Héraclius. (M.)
  5. Nicétas, Vie de Manuel Comnène. (M.)
  6. On dirait aujourd'hui : des confessions de foi.