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GRANDEUR ET DÉCADENCE


un cri général lui fait d’abord trouver des limites qu’il n’avait pas connues. Un roi de Perse peut bien contraindre un fils de tuer son père ou un père de tuer son fils[1] ; mais obliger ses sujets de boire du vin, il ne le peut pas. Il y a, dans chaque nation, un esprit général sur lequel la puissance même est fondée. Quand elle choque cet esprit, elle se choque elle-même, et elle s’arrête nécessairement.

La source la plus empoisonnée de tous les malheurs des Grecs, c’est qu’ils ne connurent jamais la nature ni les bornes de la puissance ecclésiastique et de la séculière ; ce qui fit que l’on tomba, de part et d’autre, dans des égarements continuels.

Cette grande distinction, qui est la base sur laquelle pose la tranquillité des peuples, est fondée non seulement sur la religion, mais encore sur la raison et la nature, qui veulent que des choses réellement séparées, et qui ne peuvent subsister que séparées, ne soient jamais confondues.

Quoique, chez les anciens Romains, le Clergé ne fît pas un corps séparé, cette distinction y était aussi connue que parmi nous. Claudius[2] avait consacré à la Liberté la maison de Cicéron, lequel, revenu de son exil, la redemanda. Les pontifes décidèrent que, si elle avait été consacrée sans un ordre exprès du peuple, on pouvait la lui rendre sans blesser la Religion. « Ils ont déclaré, dit Cicéron[3], qu’ils

  1. Voyez Chardin. Description du Gouvernement des Persans, ch. II. (M.)
  2. A. Clodius.
  3. Lettres à Atticus, liv. IV. lettre 2. — Tum Lucullus de omnium collegarum sententia respondit, reliogionis judices pontifices fuisse, legis senatum ; se et collegas suos de religione statuisse, in senatu de lege statuturos. (Loco citato.) (M.)