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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/398

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AVIS DE L’ÉDITEUR.


est toujours fort dangereux que la monarchie ne tourne en despotisme, il aurait voulu, s’il eût été possible, rendre le despotisme même utile. Dans cette vue, il a tracé la peinture la plus riante d’un despote qui rend ses peuples heureux : il s’est peut-être flatté qu’un jour, en lisant son ouvrage, un prince, une reine, un ministre, désireraient de ressembler à Arsace, à Isménie ou à Aspar, ou d’être eux-mêmes les modèles d’une peinture encore plus belle.

« Au reste, plusieurs hommes peuvent être ou despotes ou rois dans leur famille, dans leur société, dans leurs emplois divers : nous pouvons tous faire notre profit de l’Esprit des Lois et de cet ouvrage-ci.

« L’auteur voyait l’empire que les femmes ont aujourd’hui sur les pensées des hommes : pour s’assurer les disciples, il a cherché à se rendre les maîtres favorables ; il a parlé la langue qui leur est la plus familière et la plus agréable ; il a fait un roman : il y a peint l’amour tel qu’il le sentait, impétueux, rarement sombre, souvent badin. »

Ce petit livre n’a pas trouvé grande faveur auprès du public ; on ne le lit guère, c’est un tort. Sans doute la fable est chimérique ; Arsace et Isménie ne sont que des héros de roman ; mais sans parler d’une foule de maximes et de réflexions politiques où l’on retrouve l’auteur de l’Esprit des lois, j’ose dire que Montesquieu n’a jamais rien écrit avec plus de verve et de chaleur. On dirait de l’œuvre d’un jeune homme, si le style n’avait une précision, une énergie, une correction que trahissent le talent parvenu à sa maturité. On voit que Montesquieu est mort dans toute la force et la plénitude de son génie. Comme témoignage de cette verte vieillesse, Arsace aura toujours de l’intérêt pour la critique et la philosophie.