Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHANT SECOND.


Il y a à Gnide un antre sacré que les nymphes habitent, où la déesse rend ses oracles. La terre ne mugit point sous les pieds ; les cheveux ne se dressent point sur la tête ; il n’y a point de prétresse, comme à Delphes, où Apollon agite la Pythie : mais Vénus elle-même écoute les mortels, sans se jouer de leurs espérances, ni de leurs craintes.

Une coquette de l’île de Crète étoit venue à Gnide : elle marchoit entourée de tous les jeunes Gnidiens : elle sourioit à l’un, parloit à l’oreille à l’autre, soutenoit son bras sur un troisième, crioit à deux autres de la suivre. Elle étoit belle et parée avec art ; le son de sa voix étoit imposteur comme ses yeux. O ciel ! que d’alarmes ne causa-t-elle point aux vraies amantes ! Elle se présenta à l’oracle, aussi fière que les déesses : mais soudain nous entendîmes une voix, qui sortoit[1] du sanctuaire : Perfide, comment oses-tu porter tes artifices jusque dans les lieux où je règne avec la candeur ? Je vais te punir d’une manière cruelle ; je t’ôterai tes charmes ; mais je te laisserai le cœur comme il est. Tu appelleras tous les hommes que tu verras, ils te fuiront comme une ombre plaintive ; et tu mourras accablée de refus et de mépris.

Une courtisane de Nocrétis vint ensuite, toute bril-

  1. A. Qui sortit.