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DE L’ESPRIT DES LOIS.


les volumes ; et, dans cette confusion d’idées, il falloit que de si grands intérêts dépendissent quelquefois de l’arbitraire des juges, et souvent des contradictions des praticiens.

C’est par le secours de cette théorie qu’il guérit de ces idées superstitieuses qui, dans les jugements criminels, frappoient d’un même coup et la religion et la liberté : mais il en agit avec tant de circonspection et de sagesse, qu’on diroit qu’il ne fait que lever avec ménagement le voile que d’autres déchirèrent d’une main hardie, faisant ainsi naître un nouveau mal du remède même. Ces sortes d’emportements, indépendamment de leur injustice et de leur imprudence, seroient de nos jours un sujet de raillerie, vu les progrès de la raison humaine.

C’est en partant de ces principes qu’il nous fait voir combien on a besoin, dans la punition de certains crimes, de toute la modération, de toute la prévoyance, de toute la sagesse, en leur laissant pourtant toutes les flétrissures.

Le merveilleux concert de la politique avec la bonté des mœurs, qui domine toujours dans cet ouvrage, paroît ici plus lumineux lorsque notre auteur nous fait sentir avec un secret plaisir que les mœurs du souverain favorisent autant la liberté que les lois.

Enfin c’est en tirant chaque peine de la nature des crimes qu’il nous rappelle avec horreur le violent abus de donner autrefois le nom de crimes de lèse-majesté à des actions qui ne le sont pas ; abus qui donna des secousses terribles à la liberté des citoyens de Rome, sous ces empereurs également subtils et cruels à imaginer des prétextes odieux pour faire périr les gens de bien et éluder les lois les plus salutaires.

Notre auteur, dans ce livre, qui forme le tableau le plus intéressant que l’on puisse présenter à l’humanité, nous mène, sans rien dire, à une réflexion. Comme il est résulté des biens sans nombre d’avoir suivi la législation romaine , il y a aussi des cas où l’on bénira à jamais nos sages législateurs pour s'en être éloignés. En effet, combien n'a-t-on pas gagné