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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t3.djvu/146

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ANALYSE RAISONNÉE


son village ou de sa ville, où il résidoit, s’attacha à faire fleurir son pays ; ce qui réussit tellement que, malgré les irrégularités du gouvernement, le défaut de connoissances sur le commerce, le grand nombre de guerres et de querelles, il y eut dans la plupart des contrées de l’Europe plus de peuple qu’il n’y en a aujourd’hui : témoin les prodigieuses armées des croisés.

La navigation, qui depuis deux siècles est augmentée en Europe, a procuré des habitants et en a fait perdre. Il ne faut pas juger de l’Europe comme d’un État particulier qui feroit seul une grande navigation : cet État augmenteroit de peuple, parce que toutes les nations voisines viendroient prendre part à cette navigation ; il y arriveroit des matelots de tous côtés. Mais l'Europe, séparée du reste du monde par des déserts, par la religion, étant presque partout entourée des pays mahométans, ne se répare pas ainsi.

De tout ceci notre auteur a raison de conclure que l’Europe a besoin de lois qui favorisent la propagation, laquelle, étant la partie la plus malade de la plupart des gouvernements de nos jours, mérite le plus de secours.

Notre auteur, bien loin de trouver ces secours dans des établissements singuliers, et encore moins dans les récompenses des prodiges, comme seroit celle des privilèges de douze enfants, ne demande que des récompenses et des peines générales, comme demandoient les Romains, et il ne cherche que la nature dans les sillons des campagnes et dans les cabanes des laboureurs.

On diroit qu’il fait descendre les princes de la majesté du trône pour les conduire dans ces contrées malheureuses où la nature est aussi défigurée que les hommes qui y séjournent. Spectateur de l’abandon de ces pays, dont les plaies paroissent incurables seulement à ceux qui ne connoissent pas la force de sages lois, et pénétré des plaintes, des gémissements, de l’esprit de nonchalance de ces habitants pâles, débiles, exténués, portant sur leur visage l’empreinte de leur infortune,