Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t3.djvu/147

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
55
DE L’ESPRIT DES LOIS.


il propose des remèdes et des règles si sensées, qu’on diroit qu’elles ont été dictées par l’énergie d’une âme qui ne désire que le bien. Gomme ce seul article, rempli de vues également éclairées et bienfaisantes, renferme, pour ainsi dire, le code d’administration publique le plus sage que puisse former un prince qui se sent plutôt le père que le maître de ses peuples, on me saura gré de ce que je le répète ici. « Lorsqu’un État se trouve dépeuplé par des accidents particuliers, des guerres, des pestes, des famines, il y a des ressources : les hommes qui restent peuvent conserver l’esprit de travail et d’industrie ; ils peuvent chercher à réparer leurs malheurs, et devenir plus industrieux par leur calamité même. Le mal presque incurable est lorsque la dépopulation vient de longue main par un vice intérieur et un mauvais gouvernement. Les hommes y ont péri par une maladie insensible et habituelle : nés dans la langueur et dans la misère, dans la violence ou les préjugés du gouvernement, ils se sont vu détruire souvent sans sentir les causes de leur destruction, etc.

« Pour rétablir un État aussi dépeuplé, on attendroit en vain des secours des enfants qui pourroient y naître. Il n’est plus temps : les hommes, dans leurs déserts, sont sans courage et sans industrie. Avec des terres pour nourrir un peuple, on a à peine de quoi nourrir une famille. Le bas peuple, dans ces pays, n’a pas même de part à leur misère, c’est-à-dire aux friches dont ils sont remplis. Le prince, les villes, les grands, quelques citoyens principaux, sont devenus insensiblement propriétaires de toute la contrée : elle est inculte ; mais les familles détruites leur en ont laissé les pâtures, et l’homme de travail n’a rien.

« Dans cette situation, il faudroit faire dans toute l’étendue de l’empire ce que les Romains faisoient dans une partie du leur : pratiquer dans la disette des habitants ce qu’ils observoient dans l’abondance, distribuer des terres à toutes les familles qui n’ont rien, leur procurer les moyens de les défricher et de les cultiver. Cette distribution devroit se faire à