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LIVRE I, CHAP. I.


règle, pourroit gouverner le monde, puisque le monde ne subsisteroit pas sans elles.

Ces règles sont un rapport constamment établi. Entre un corps mû et un autre corps mû, c’est suivant les rapports de la masse et de la vitesse que tous les mouvements sont reçus, augmentés, diminués, perdus ; chaque diversité est uniformité chaque changement est constance.

Les êtres particuliers intelligents peuvent avoir des lois qu’il ont faites ; mais ils en ont aussi qu’il n’ont pas faites. Avant qu’il y eût des êtres intelligents, ils étoient possibles ; ils avoient donc des rapports possibles, et par conséquent des lois possibles. Avant qu’il y eût des lois faites, il y avoit des rapports de justice possibles. Dire qu’il n’y a rien de juste ni d’injuste que ce qu’ordonnent ou défendent les lois positives, c’est dire qu’avant qu’on eût tracé de cercle, tous les rayons n’étoient pas égaux [1].

Il faut donc avouer des rapports d’équité antérieurs à la loi positive qui les établit [2] : comme, par exemple, que supposé qu’il y eût des sociétés d’hommes, il seroit juste de se conformer à leurs lois ; que, s’il y avoit des êtres intelligents qui eussent reçu quelque bienfait d’un autre être, ils devroient en avoir de la reconnoissance ; que, si un être intelligent avoit créé un être intelligent, le créé devroit rester dans la dépendance qu’il a eue dès son origine ; qu’un être intelligent, qui a fait du mal à un être intelligent, mérite de recevoir le même mal [3], et ainsi du reste.

Mais il s’en faut bien que le monde intelligent soit

  1. Ce raisonnement bien développé est très-bon pour réfuter Carnéades et ceux qui soutiennent qu'il n'y a rien de juste ni d’injuste que ce qui est déclaré tel par les lois positives. (LUZAC.)
  2. C'est-à-dire qui leur donne un caractère légal.
  3. Inf., VI, XIX.