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CHAPITRE VI.


DE QUELQUES INSTITUTIONS DES GRECS.


Les anciens Grecs, pénétrés de la nécessité que les peuples qui vivoient sous un gouvernement populaire fussent élevés à la vertu, firent, pour l’inspirer, des institutions singulières. Quand vous voyez, dans la vie de Lycurgue, les lois qu’il donna aux Lacédémoniens, vous croyez lire l’histoire des Sévarambes [1]. Les lois de Crète étoient l’original de celles de Lacédémone ; et celles de Platon en étoient la correction.

Je prie qu’on fasse un peu d’attention à l’étendue de génie qu’il fallut à ces législateurs pour voir qu’en choquant tous les usages reçus, en confondant toutes les vertus [2], ils montreroient à l’univers leur sagesse. Lycurgue, mêlant le larcin [3] avec l’esprit de justice, le plus dur esclavage avec l’extrême liberté, les sentiments les plus atroces avec la plus grande modération, donna de la stabilité à sa ville. Il sembla lui ôter toutes les ressources,

  1. L'histoire des Sévarambes, peuples de la terre australe, n'est qu'une médiocre copie de l'Utopie de Thomas Morus ; ce roman politique a paru vers 1672. L’auteur est un nommé Vairasse d'Allais.
  2. L’auteur parait avoir voulu dire que les Lacédémoniens confondoient les vertus et les vices. (DUPIN.)
  3. Ce larcin n’était qu’un maraudage militaire permis en certains temps aux jeunes gens pour les habituer à la guerre. V. Rollin, Traité des études, troisième partie. V. inf., XXIX, XIII.