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DE L'ESPRIT DES LOIS.


les arts, le commerce, l’argent, les murailles : on y a de l’ambition, sans espérance d’être mieux : on y a les sentiments naturels, et on n’y est ni enfant, ni mari, ni père : la pudeur même est ôtée à la chasteté. C’est par ces chemins que Sparte est menée à la grandeur et à la gloire [1] ; mais avec une telle infaillibilité de ses institutions, qu’on n’obtenoit rien contre elle en gagnant des batailles, si on ne parvenoit à lui ôter sa police [2].

La Crète et la Laconie furent gouvernées par ces lois. Lacédémone céda la dernière aux Macédoniens, et la Crète [3] fut la dernière proie des Romains. Les Samnites eurent ces mêmes institutions [4], et elles furent pour ces Romains le sujet de vingt-quatre triomphes [5].

Cet extraordinaire que l'on voyoit dans les institutions de la Grèce, nous l’avons vu dans la lie et la corruption de nos temps modernes [6]. Un législateur honnête homme a formé un peuple, où la probité paroît aussi naturelle que la bravoure chez les Spartiates. M. Penn est un véritable Lycurgue [7] ; et, quoique le premier ait eu la paix pour

  1. La grandeur et la gloire de Sparte sont bien peu de chose pour quiconque n’est pas un admirateur aveugle de l’antiquité. De ce couvent de soldats est-il sorti autre chose que la destruction et la ruine ? Qu’est-ce que la civilisation doit à ces Barbares ?
  2. Philopœmen contraignit les Lacédémoniens d’abandonner la manière de nourrir leurs enfants, sachant bien que, sans cela, ils auroient toujours une âme grande et le cœur haut. Plutarque, Vie de Philopœmen, Voyez Tite-Live, liv. XXXVIII. (M.)
  3. Elle défendit, pendant trois ans, ses lois et sa liberté. Voyez les livres XCVIII, XCIX et C de Tite-Live, dans l'Epitome de Florus. Elle fit plus de résistance que les plus grands rois. (M.)
  4. Grandeur et décadence des Romains, c. I. Pour Montesquieu, les Sabins et les Samnites sont les descendants des Lacédémoniens, descendance que rien ne justifie.
  5. Florus, liv. I, ch. XVI. (M.)
  6. Infece Romuli, Cicéron, Lettres à Atticus, II, I. (M.)
  7. Je ne sais rien de plus contraire à Lycurgue qu’un législateur et un peuple qui ont toute guerre en horreur. Je fais des vœux ardents pour que Londres ne force point les bons Pensylvaniens à devenir aussi méchants que nous et que les anciens Lacédémoniens qui firent le malheur de la Grèce. (VOLTAIRE.)