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LIVRE V, CHAP. IV.


pût toujours se maintenir égal à celui des partages [1].

Phaléas de Chalcédoine [2] avoit imaginé une façon de rendre égales les fortunes dans une république où elles ne l'étoient pas. Il vouloit que les riches donnassent des dots aux pauvres, et n’en reçussent pas ; et que les pauvres reçussent de l’argent pour leurs filles, et n’en donnassent pas. Mais je ne sache point qu’aucune république se soit accommodée d’un règlement pareil. Il met les citoyens sous des conditions, dont les différences sont si frappantes, qu'ils haîroient cette égalité même que l'on chercheroit à introduire. Il est bon quelquefois que les lois ne paroissent pas aller si directement au but qu’elles se proposent.

Quoique, dans la démocratie, l’égalité réelle soit l’âme de l’État, cependant elle est si difficile à établir, qu’une exactitude extrême à cet égard ne conviendroit pas toujours. Il suffit que l’on établisse un cens [3] qui réduise ou fixe les différences à un certain point ; après quoi, c’est à des lois particulières à égaliser, pour ainsi dire, les inégalités, par les charges qu’elles imposent aux riches, et le soulagement qu’elles accordent aux pauvres. Il n’y a que les richesses médiocres qui puissent donner ou souffrir ces sortes de compensations : car, pour les fortunes immodérées, tout ce qu’on ne leur accorde pas de puissance et d’honneur, elles le regardent comme une injure.

Toute inégalité dans la démocratie doit être tirée de

  1. Est-ce qu’il n'y a pas plus d’enfants que de pères. (HELVÉTIUS.)
  2. Aristote, Politique, liv. II, chap. VII. (M.)
  3. Solon fit quatre classes : la première, de ceux qui avoient cinq cents mines de revenu, tant en grains qu’en fruits liquides ; la seconde, de ceux qui en avoient trois cents, et pouvoient entretenir un cheval ; la troisième, de ceux qui n’en avoient que deux cents ; la quatrième, de tous ceux qui vivoient de leurs bras. Plutarque, Vie de Solon. (M.)