L’ambition est bien plus irritée dans des États où des princes du sang voient que, s’ils ne montent pas sur le trône, ils seront enfermés ou mis à mort, que parmi nous où les princes du sang jouissent d’une condition qui, si elle n’est pas si satisfaisante pour l’ambition, l’est peut-être plus pour les désirs modérés.
Les princes des États despotiques ont toujours abusé du mariage. Ils prennent ordinairement plusieurs femmes, surtout dans la partie du monde où le despotisme est, pour ainsi dire, naturalisé, qui est l’Asie. Ils en ont tant d’enfants, qu’ils ne peuvent guère avoir d’affection pour eux, ni ceux-ci pour leurs frères.
La famille régnante ressemble à l’État : elle est trop foible, et son chef est trop fort ; elle paroît étendue, et elle se réduit à rien, Artaxerxès [1] fit mourir tous ses enfants, pour avoir conjuré contre lui. Il n’est pas vraisemblable que cinquante enfants conspirent contre leur père ; et encore moins qu’ils conspirent, parce qu’il n’a pas voulu céder sa concubine à son fils aîné. Il est plus simple de croire qu’il y a là quelque intrigue de ces sérails d’Orient ; de ces lieux où l’artifice, la méchanceté, la ruse, règnent dans le silence, et se couvrent d’une épaisse nuit ; où un vieux prince, devenu tous les jours plus imbécile, est le premier prisonnier du palais.
Après tout ce que nous venons de dire, il sembleroit que la nature humaine se souleveroit sans cesse contre le gouvernement despotique. Mais, malgré l’amour des hommes pour la liberté, malgré leur haine contre la violence, la plupart des peuples y sont soumis. Cela est aisé
- ↑ Voyez Justin. (M.) Selon Justin, liv. X, chap. II, Artaxerxès avait cent quinze fils, dont cinquante conspirèrent contre lui et furent mis à mort. (CRÉVIER.)