Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t3.djvu/295

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
203
LIVRE V, CHAP. XIV.


le trône, fait d’abord étrangler ses frères, comme en Turquie ; ou les fait aveugler, comme en Perse [1] ; ou les rend fous, comme chez le Mogol : ou, si l'on ne prend point ces précautions, comme à Maroc, chaque vacance de trône est suivie d’une affreuse guerre civile.

Par les constitutions de Moscovie [2], le czar peut choisir qui il veut pour son successeur, soit dans sa famille, soit hors de sa famille. Un tel établissement de succession cause mille révolutions, et rend le trône aussi chancelant que la succession est arbitraire. L’ordre de succession étant une des choses qu’il importe le plus au peuple de savoir, le meilleur est celui qui frappe le plus les yeux, comme la naissance, et un certain ordre de naissance. Une telle disposition arrête les brigues, étouffe l'ambition ; on ne captive plus l'esprit d’un prince foible, et l'on ne fait point parler les mourants.

Lorsque la succession est établie par une loi fondamentale, un seul prince est le successeur, et ses frères n’ont aucun droit réel ou apparent de lui disputer la couronne. On ne peut présumer ni faire valoir une volonté particulière du père. Il n’est donc pas plus question d’arrêter ou de faire mourir le frère du roi, que quelque autre sujet que ce soit.

Mais dans les États despotiques, où les frères du prince sont également ses esclaves et ses rivaux, la prudence veut que l’on s’assure de leurs personnes, surtout dans les pays mahométans, où la religion regarde la victoire ou le succès comme un jugement de Dieu ; de sorte que personne n’y est souverain de droit [3], mais seulement de fait.

  1. Chardin, Voyage de Perse, Description du gouvernement, ch.I et III.
  2. Voyez les différentes constitutions, surtout celle de 1722. (M.)
  3. A. B. Personne n'y est monarque de droit, etc.