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LIVRE V, CHAP. XV.


établi la cession de biens [1], on ne seroit pas tombé dans tant de séditions et de discordes civiles, et on n’auroit point essuyé les dangers des maux, ni les périls des remèdes.

La pauvreté et l’incertitude des fortunes, dans les États despotiques, y naturalisent l'usure ; chacun augmentant le prix de son argent à proportion du péril qu’il y a à le prêter. La misère vient donc de toutes parts dans ces pays malheureux ; tout y est ôté, jusqu’à la ressource des emprunts.

Il arrive de là qu’un marchand n’y sauroit faire un grand commerce ; il vit au jour la journée : s’il se chargeoit de beaucoup de marchandises, il perdroit plus par les intérêts qu’il donneroit pour les payer, qu’il ne gagneroit sur les marchandises. Aussi les lois sur le commerce n’y ont-elles guère de lieu ; elles se réduisent à la simple police.

Le gouvernement ne sauroit être injuste sans avoir des mains qui exercent ses injustices ; or il est impossible que ces mains ne s’emploient pour elles-mêmes. Le péculat est donc naturel dans les États despotiques.

Ce crime y étant le crime ordinaire, les confiscations y sont utiles. Par là on console le peuple ; l’argent qu’on en tire est un tribut considérable que le prince lèveroit difficilement sur des sujets abîmés : il n’y a même dans ce pays aucune famille qu’on veuille conserver.

Dans les États modérés, c’est toute autre chose. Les confiscations rendroient la propriété des biens incertaine ;

  1. Elle ne fut établie que par la loi Julie, De cessione bonorum. On évitoit la prison, et la cession de bien n’étoit pas ignominieuse. Cod., liv, II. tit. XII a . (M.)

    a A. B. On évitoit la prison par la cession ignominieuse des biens.