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XVII
A L’ESPRIT DES LOIS.


frages pour régler le vote, les magistratures et les impôts. En d’autres termes, ce ne sont point de petits États, inégaux en richesse et en population, qui obtiennent une représentation égale, comme cela avait lieu dans les Pays-Bas ; l’autorité du peuple domine la souveraineté factice des provinces ; l’Union remporte sur les États.

C’est le problème que les Américains avaient à résoudre en 1787. Consultèrent-ils Montesquieu ? Oui, sans doute. On a conservé des notes de Washington sur les différentes Constitutions fédératives ; on a été surpris de voir que le général, qui n’était pas un grand érudit, avait remarqué la constitution de Lycie. Il est évident qu’il avait emprunté sa science à l’Esprit des lois.

Telle est la fécondité du génie. Trop souvent ce n’est pas dans sa patrie qu'un grand homme est prophète ; on le méconnaît, on le jalouse ; mais les vérités qu'il établit sont comme autant de phares qui portent au loin leur lumière et leurs bienfaits. Et si on cherchait quel est au dernier siècle l’homme dont les idées ont eu l’influence la plus étendue et la plus heureuse, celui qui a le mieux éclairé et pacifié les esprits en leur donnant le goût de la justice et de la liberté, je ne crains pas de dire que le cri public répondrait par le nom de Montesquieu.


§ II. PUBLICATION DE L'ESPRIT DES LOIS.


On sait qu’au XVIIIe siècle on ne pouvait publier en France un livre qui touchât à la religion, à la politique, aux finances, au gouvernement. La police ne tolérait que les ouvrages innocents, c’est-à-dire ceux qui restaient dans l’ornière traditionnelle, et ne pouvaient ni contrarier un préjugé, ni ébranler un abus. Pour les autres, il fallait les imprimer à l’étranger, si l’on ne se souciait pas d’avoir affaire à la Sorbonne, au Parlement ou à la Bastille. Montesquieu en savait quelque chose ;