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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t4.djvu/30

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DE L'ESPRIT DES LOIS.


qui arrivera s’ils forment un corps qui ait droit d’arrêter les entreprises du peuple, comme le peuple a droit d’arrêter les leurs.

Ainsi, la puissance législative sera confiée, et au corps des nobles [1], et au corps qui sera choisi pour représenter le peuple, qui auront chacun leurs assemblées et leurs délibérations à part, et des vues et des intérêts séparés.

Des trois puissances dont nous avons parlé, celle de. juger est en quelque façon nulle [2]. Il n’en reste que deux ; et comme elles ont besoin d’une puissance réglante pour les tempérer, la partie du corps législatif qui est composée de nobles est très-propre à produire cet effet.

Le corps des nobles doit être héréditaire. Il est premièrement par sa nature ; et d’ailleurs il faut qu’il ait un très-grand intérêt à conserver ses prérogatives, odieuses par elles-mêmes, et qui, dans un État libre, doivent toujours être en danger.

Mais comme une puissance héréditaire pourroit être induite à suivre ses intérêts particuliers et à oublier ceux du peuple, il faut que dans les choses où l'on a un souverain intérêt à la corrompre, comme dans les lois qui concernent la levée de l’argent, elle n’ait de part à la législation que par sa faculté d’empêcher, et non par sa faculté de statuer.

J’appelle faculté de statuer y le droit d’ordonner par soi-

  1. La pairie anglaise ne représente pas le corps des nobles ; il y a une foule de nobles qui n'ont aucune place dans la Chambre des lords. Les pairs sont tous barons, il est vrai, mais pour un noble de naissance, combien de parvenus, anoblis par leur dignité ?
  2. C’est une garantie plutôt qu'un pouvoir politique ; hormis toutefois les États-Unis qui ont donné à leur cour fédérale le droit de maintenir la Constitution, en n'ayant aucun égard à toute loi qui porterait atteinte à la loi suprême du pays.