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LIVRE XI, CHAP. VI.


sesse, qu’ils sont réputés n’avoir point de volonté propre [1].

Il y avoit un grand vice dans la plupart des anciennes républiques : c’est que le peuple avoit droit d’y prendre des résolutions actives, et qui demandent quelque exécution, chose dont il est entièrement incapable. Il ne doit entrer dans le gouvernement que pour choisir ses représentants, ce qui est très à sa portée. Car, s’il y a peu de gens qui connoissent le degré précis de la capacité des hommes, chacun est pourtant capable de savoir, en général, si celui qu’il choisit est plus éclairé que la plupart des autres.

Le corps représentant ne doit pas être choisi non plus pour prendre quelque résolution active, chose qu’il ne feroit pas bien ; mais pour faire des lois, ou pour voir si l’on a bien exécuté celles qu’il a faites, chose qu’il peut très-bien faire, et qu’il n’y a même que lui qui puisse bien faire.

Il y a toujours dans un État [2] des gens distingués par la naissance, les richesses ou les honneurs ; mais s’ils étoient confondus parmi le peuple, et s’ils n’y avoient qu’une voix comme les autres, la liberté commune seroit leur esclavage, et ils n’auroient aucun intérêt à la défendre, parce que la plupart des résolutions seroient contre eux. La part qu’ils ont à la législation doit donc être proportionnée aux autres avantages qu’ils ont dans l’État : ce

  1. Sup. IV, II ; Inf. XV, XVIII.
  2. Montesquieu, comme toujours, fait ici une observation particulière. Ce qu'il dit était vrai de la pairie d’Angleterre, et pouvait s’appliquer à la noblesse de France ; mais combien n’y a-t-il pas de monarchies, sans parler de républiques, où il n’est pas nécessaire que la naissance, les richesses et les honneurs soient privilèges par la Constitution. Ne sont-ce pas là des privilèges naturels ou sociaux qui suffisent pour mettre en vue ceux qui les possèdent. Faut-il encore privilégier le privilège ?