Aller au contenu

Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t4.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
21
LIVRE XI, CHAP. VI.


année, mais pour toujours, sur la levée des deniers publics, elle court risque de perdre sa liberté, parce que la puissance exécutrice ne dépendra plus d’elle ; et quand on tient un pareil droit pour toujours, il est assez indifférent qu’on le tienne de soi ou d’un autre. Il en est de même si elle statue, non pas d’année en année, mais pour toujours, sur les forces de terre et de mer qu’elle doit confier à la puissance exécutrice.

Pour que celui qui exécute ne puisse pas opprimer, il faut que les armées qu’on lui confie soient peuple, et aient le même esprit que le peuple, comme cela fut à Rome jusqu’au temps de Marins. Et, pour que cela soit ainsi, il n’y a que deux moyens : ou que ceux que l’on emploie dans l’armée aient assez de bien pour répondre de leur conduite aux autres citoyens, et qu’ils ne soient enrôlés que pour un an, comme il se pratiquoit à Rome[1] ; ou, si on a un corps de troupes permanent, et où les soldats soient une des plus viles parties de la nation, il faut que la puissance législative puisse le casser sitôt qu’elle le désire ; que les soldats habitent avec les citoyens, et qu’il n’y ait ni camp séparé, ni casernes, ni place de guerre.

L’armée étant une fois établie, elle ne doit point dépendre immédiatement du corps législatif, mais de la puissance exécutrice ; et cela par la nature de la chose ; son fait consistant plus en action qu’en délibération.

Il est dans la manière de penser des hommes que l’on fasse plus de cas du courage que de la timidité ; de l’activité que de la prudence ; de la force que des conseils.

  1. Inf. XI, XVIII. Benjamin Constant a examiné et discuté cette opinion de Montesquieu dans ses Principes de politique, ch. XIV : De l’organisation de la force armée dans un État constitutionnel. V. Cours de droit const., t. I, p. 107.