Aller au contenu

Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t4.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
40
DE L'ESPRIT DES LOIS.


toute la puissance législative, toute la puissance exécutrice, toute la puissance des jugements. Rome se vit soumise à une tyrannie aussi cruelle que celle de Tarquin. Quand Tarquin exerçoit ses vexations, Rome étoit indignée du pouvoir qu’il avoit usurpé ; quand les décemvirs exercèrent les leurs, elle fut étonnée [1] du pouvoir qu’elle avoit donné[2].

Mais quel étoit ce système de tyrannie, produit par des gens qui n’avoient obtenu le pouvoir politique et militaire que par la connoissance des affaires civiles ; et qui, dans les circonstances de ces temps-là, avoient besoin au dedans de la lâcheté des citoyens pour qu’ils se laissassent gouverner, et de leur courage au dehors pour les défendre ?

Le spectacle de la mort de Virginie, immolée par son père à la pudeur et à la liberté, fit évanouir la puissance des décemvirs. Chacun se trouva libre, parce que chacun fut offensé : tout le monde devint citoyen, parce que tout le monde se trouva père. Le sénat et le peuple rentrèrent dans une liberté qui avoit été confiée à des tyrans ridicules.

Le peuple romain, plus qu’un autre, s’émouvoit par les spectacles. Celui du corps sanglant de Lucrèce fit finir la royauté. Le débiteur, qui parut sur la place, couvert de plaies, fit changer la forme de la république. La vue de Virginie fit chasser les décemvirs. Pour faire condamner Manlius, il fallut ôter au peuple la vue du Capitole. La robe sanglante de César remit Rome dans la servitude.

    buns avaient le droit de convoquer le Sénat, avant même qu’on établit les décemvirs.

  1. A. B. Rome fut étonnée, etc.
  2. Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains, ch. I.