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DE L’ESPRIT DES LOIS.


qui n’étoient point mariés, et augmenta les récompenses de ceux qui l'étoient, et de ceux qui avoient des enfants. Tacite appelle ces lois Juliennes [1] ; il y a apparence qu’on y avoit fondu les anciens règlements faits par le sénat, le peuple et les censeurs.

La loi d’Auguste trouva mille obstacles ; et trente-quatre ans [2] après qu’elle eut été faite, les chevaliers romains lui en demandèrent la révocation. Il fit mettre d’un côté ceux qui étoient mariés, et de l’autre ceux qui ne l’étoient pas : ces derniers parurent en plus grand nombre, ce qui étonna les citoyens et les confondit. Auguste, avec la gravité des anciens censeurs, leur parla ainsi [3].

« Pendant que les maladies et les guerres nous enlèvent tant de citoyens, que deviendra la ville, si on ne contracte plus de mariages ? La cité ne consiste point dans les maisons, les portiques, les places publiques : ce sont les hommes qui font la cité. Vous ne verrez point, comme dans les fables, sortir des hommes de dessous la terre pour prendre soin de vos affaires. Ce n’est point pour vivre seuls que vous restez dans le célibat : chacun de vous a des compagnes de sa table et de son lit, et vous ne cherchez que la paix dans vos dérèglements. Citerez-vous ici l’exemple des vierges Vestales ? Donc, si vous ne gardiez pas les lois de la pudicité, il faudroit vous punir comme elles. Vous êtes également mauvais citoyens, soit que tout le monde imite votre exemple, soit que personne ne le suive. Mon unique objet est la perpétuité de la

  1. Julias rogationes, Annal., liv. III, c. xxv. (M.)
  2. L'an 762 de Rome. Dion, liv. LVI, c. I. (M.)
  3. J'ai abrégé cette harangue, qui est d'une longueur accablante : elle est rapportée dans Dion, liv. LVI. (M.)