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DE L’ESPRIT DES LOIS.


cela se sent bien dans le récit des démêlés qui s’élevèrent à cet égard ; on n’y disconvient point de l’avarice de ceux qui prêtoient ; mais on dit que ceux qui se plaignoient auroient pu payer s’ils avoient eu une conduite réglée [1].

On faisoit donc des lois qui n’influoient que sur la situation actuelle : on ordonnoit, par exemple, que ceux qui s’enrôleroient pour la guerre que l’on avoit à soutenir, ne seroient point poursuivis par leurs créanciers ; que ceux qui étoient dans les fers seroient délivrés ; que les plus indigents seroient menés dans les colonies : quelquefois on ouvroit le trésor public. Le peuple s’apaisoit par le soulagement des maux présents ; et, comme il ne demandoit rien pour la suite, le sénat n’avoit garde de le prévenir.

Dans le temps que le sénat défendoit avec tant de constance la cause des usures, l’amour de la pauvreté, de la frugalité, de la médiocrité, étoit extrême chez les Romains : mais telle étoit la constitution, que les principaux citoyens portoient toutes les charges de l'État, et que le bas peuple ne payoit rien. Quel moyen de priver ceux-là du droit de poursuivre [2] leurs débiteurs, et de leur demander d’acquitter leurs charges, et de subvenir aux besoins pressants de la république ?

Tacite [3] dit que la loi des Douze Tables fixa l’intérêt à un pour cent par an. Il est visible qu’il s’est trompé, et qu’il a pris pour la loi des Douze Tables une autre loi dont je vais parler. Si la loi des Douze Tables avoit réglé cela, comment, dans les disputes qui s’élevèrent depuis entre les créanciers et les débiteurs, ne se seroit-on pas servi de

  1. Voyez les discours d’Appius là-dessus, dans Denys d’Halicarnasse, livre V. (M.)
  2. A. B. De priver ceux-là de la poursuite de leurs débiteurs.
  3. Annal, liv. VI, c. XVI. (M.)