Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t6.djvu/203

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
187
DE L’ESPRIT DES LOIS.

« Le peuple chez les Romains, augmentant tous les jours sa puissance, les magistrats cherchèrent à le flatter et à lui faire faire les lois qui lui étoient les plus agréables. Il retrancha les capitaux, il diminua les intérêts, il défendit d’en prendre ; il ôta les contraintes par corps enfin ; l’abolition des dettes fut mise en question, toutes les fois qu’un tribun voulut se rendre populaire.

« Ces continuels changements, soit par des lois, soit par des plébiscites, naturalisèrent à Rome l’usure : car les créanciers voyant le peuple leur débiteur, leur législateur et leur juge, n’eurent plus de confiance dans les contrats. Le peuple, comme un débiteur décrédité, ne tentoit à lui prêter que par de gros profits ; d’autant plus que, si les lois ne venoient que de temps en temps, les plaintes du peuple étoient continuelles, et intimidoient toujours les créanciers. Gela fit que tous les moyens honnêtes de prêter et d’emprunter furent abolis à Rome, et qu’une usure affreuse toujours foudroyée et toujours renaissante, s’y établit.

« Cicéron nous dit que de son temps on prêtoit à Rome à trente-quatre pour cent, et à quarante-huit pour cent dans les provinces. Ce mal venoit, encore un coup, de ce que les lois n’avoient pas été ménagées. Les lois extrêmes dans le bien font naitre le mal extrême : il fallut payer pour le prêt de l’argent, et pour le danger des peines de la loi. »

L’auteur n’a donc parlé du prêt à intérêt que dans son rapport avec le commerce des divers peuples , ou avec les lois civiles des Romains ; et cela est si vrai, qu’il a distingué, au second article du chapitre XIX, les établissements des législateurs de la religion, d’avec ceux des législateurs politiques. S’il avoit parlé là nommément de la religion