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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t6.djvu/217

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DE L’ESPRIT DES LOIS.

Nous autres gens du monde sommes si foibles, que nous méritons extrêmement d’être ménagés. Ainsi, lorsqu’on nous fait voir toutes les marques extérieures des passions violentes, que veut-on que nous pensions de l’intérieur ? Peut-on espérer que nous, avec notre témérité ordinaire de juger, ne jugions pas ?

On peut avoir remarqué, dans les disputes et les conversations, ce qui arrive aux gens dont l’esprit est dur et difficile : comme ils ne combattent pas pour s’aider les uns les autres, mais pour se jeter à terre, ils s’éloignent de la vérité, non pas à proportion de la grandeur ou de la petitesse de leur esprit, mais de la bizarrerie ou de l’inflexibilité plus ou moins grande de leur caractère. Le contraire arrive à ceux à qui la nature ou l’éducation ont donné de la douceur : comme leurs disputes sont des secours mutuels, qu’ils concourent au même objet, qu’ils ne pensent différemment que pour parvenir à penser de même, ils trouvent la vérité à proportion de leurs lumières : c’est la récompense d’un bon naturel.

Quand un homme écrit sur les matières de religion, il ne faut pas qu’il compte tellement sur la piété de ceux qui le lisent, qu’il dise des choses contraires bon sens ; parce que, pour s’accréditer auprès de ceux qui ont plus de piété que de lumières, il se décrédite auprès de ceux qui ont plus de lumières que de piété.

Et comme la religion se défend beaucoup par elle-même, elle perd plus lorsqu’elle est mal défendue, que lorsqu’elle n’est point du tout défendue.