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A UN HOMME CHARITABLE.


l’Esprit des Lois, etc., dans un bûcher auquel on mettra le feu avec un paquet de Nouvelles ecclésiastiques.

En effet, monsieur, quels maux épouvantables n’ont pas faits dans le monde une douzaine de vers répandus dans l'Essai sur l’homme de ce scélérat de Pope ; cinq ou six articles du Dictionnaire de cet abominable Bayle ; une ou deux pages de ce coquin de Locke, et d’autres incendiaires de cette espèce ? Il est vrai que ces hommes ont mené une vie pure et innocente, que tous les honnêtes gens les chérissoient et les consultoient ; mais c’est par là qu’ils sont dangereux. Vous voyez leurs sectateurs, les armes à la main, troubler les royaumes, porter partout le flambeau des guerres civiles. Montaigne, Charron, le président de Thou, Descartes, Gassendi, Rohaut, Le Vayer, ces hommes affreux, qui étoient dans les mêmes principes, bouleversèrent tout en France. C’est leur philosophie qui fit donner tant de batailles, et qui causa la Saint-Barthélémy ; c’est leur esprit de tolérantisme qui est la ruine du monde ; et c’est votre saint zèle qui répand partout la douceur de la concorde.

Vous nous apprenez que tous les partisans de la religion naturelle sont les ennemis de la religion chrétienne. Vraiment, monsieur, vous avez fait là une belle découverte ! Ainsi, dès que je verrai un homme sage, qui, dans sa philosophie, reconnoîtra partout l’Être suprême, qui admirera la Providence dans l’infiniment grand et dans l’infiniment petit, dans la production des mondes et dans celle des insectes, je conclurai de là qu’il est impossible que cet homme soit chrétien. Vous nous avertissez qu’il faut penser ainsi aujourd’hui de tous les philosophes. On ne pouvoit certainement rien dire de plus sensé et de plus utile au christianisme que d’assurer que