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SUITE DE LA DÉFENSE


bien se mettre en tête de devenir chef de secte, et détourner sur lui les regards du peuple attachés sur les illustres disciples du Docteur de la grâce. Eh bien ! de peur qu’il ne lui prenne envie d’être un jour hérésiarque, on prouve pieusement qu’il est actuellement hérétique : zèle admirable, sainte politique, qui seule garantit la foi catholique du poison contagieux de l'erreur !

Dès que l'Esprit des Lois parut, il fut lu avec autant d’avidité qu’il a voit été attendu avec impatience.

Un ouvrage, avoit-on dit, dont le savant auteur des Considérations de l’Empire romain a rassemblé les matériaux depuis vingt années, ne sauroit manquer d’être parfaitement beau : la lecture justifia cette prévention.

Tout ce qui n’étoit pas jésuite ou janséniste, dévot ou bel esprit, le regarda comme le triomphe de l’humanité, le chef-d’œuvre du génie, la Bible des politiques.

Que firent les défenseurs de la grâce ? Ils pleurèrent sur cet aveuglement. Ces saints hommes ne virent ce succès qu’avec la plus amère douleur.

Il étoit brillant : pou voit-il n’être pas dangereux ?

S’il en faut croire les mémoires qu’on m’a fournis, un d’eux en prit des vapeurs, un autre retomba en convulsions. Seroit-ce la première fois que la passion a enfanté des miracles ?

Douze éditions, épuisées en six mois, épuisèrent enfin leur patience.

Saisis d’un saint enthousiasme, dévorés du zèle de la maison de Dieu, ils font succéder l’anathème aux larmes et aux regrets.

Dans un antre inconnu, on forge la bulle qui doit écraser le livre et l’auteur : c’est de ce nouveau Vatican que partent les foudres de ces petits Jupiters.