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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t6.djvu/318

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SUITE DE LA DÉFENSE


Ce n’est qu’un pénible assemblage
De républiques et de rois.


Le poëte semble se méfier du jugement de son ami ; il se hâte, avec plus de prudence que de politesse, de le prévenir. Dégoûté d’un livre, dont les beautés mâles ne peuvent guère affecter un esprit femelle, fatigué d’une lecture dont les sublimes objets ne peuvent faire qu’une impression fort légère sur un homme, qui, tournant sans cesse autour d’un cercle de petits objets, fait son occupation de la bagatelle, ne connoît de plaisir que celui de la frivolité, fait son étude unique du joli, du saillant, du gracieux, il veut que celui à qui il écrit partage son dégoût et son ennui. En détaille-t-il les causes ? Non ; il se contente de qualifier l’Esprit des Lois de pénible assemblage de républiques et de rois. Qui n’auroit pas lu les autres ouvrages du même auteur, croirait que M. de M... est un de ces doctes compilateurs, qui emploient bonnement leurs tristes veilles à endormir leurs lecteurs, et qui se désennuient à ennuyer le public. Ou diroit que l'Esprit des Lois, cet ouvrage qui fait tant d’honneur à la raison humaine, n’est que le fruit des recueils, et l’ouvrage d’un érudit. Cependant est-il de livre où le génie ait pris un plus rapide essor ? Il y a beaucoup d’érudition, mais elle n’y tient pas le premier rang, elle n’y figure qu’en second ; elle n’est pas le fondement de l’édifice, elle n’en est que l’ornement et l’ornement nécessaire. Ce n’est pas de l’érudition prouvée, mais de l’érudition prouvante, pour me servir des termes d’un des aïeux de M. de M... Ordinairement le génie est étouffé par le savoir ; ici, le savoir soutient les ailes du génie ; ailleurs, épais, ténébreux, pesant, il fatigue ; ici, brillant, lumi-