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A MONTESQUIEU.


dernier goujat. Voilà, j’imagine, dans un gouvernement, le seul emploi auquel peuvent servir les intermédiaires. Dans un pays gouverné par les fantaisies d’un chef, ces intermédiaires qui l’assiègent, cherchent encore à le tromper, à l’empêcher d’entendre les vœux et les plaintes du peuple sur les abus dont eux seuls profitent. Est-ce le peuple qui se plaint que l’on trouve dangereux ? Non ; c’est celui qu’on n’écoute pas. Dans ce cas, les seules personnes à craindre dans une nation sont celles qui l’empêchent d’être écoutée. Le mal est à son comble quand le souverain, malgré les flatteries des intermédiaires, est forcé d’entendre les cris de son peuple arrivés jusqu’à lui. S’il n’y remédie promptement, la chute de l’empire est prochaine. Il peut être averti trop tard que ses courtisans l’ont trompé.

Vous voyez que par intermédiaires j’entends les membres de cette vaste aristocratie de nobles et de prêtres dont la tête repose à Versailles, qui usurpe et multiplie à son gré presque toutes les fonctions du pouvoir par le seul privilège de la naissance, sans droit, sans talent, sans mérite, et retient dans sa dépendance jusqu’au souverain, qu’elle sait faire vouloir et changer de ministres, selon qu’il convient à ses intérêts.

Je finirai, mon cher président, par vous avouer que je n’ai jamais bien compris les subtiles distinctions, sans cesse répétées, sur les différentes formes de gouvernement. Je n’en connois que de deux espèces : les bons et les mauvais ; les bons, qui sont encore à faire ; les mauvais, dont tout l’art est, par différents moyens, de faire passer l’argent de la partie gouvernée dans la bourse de la partie gouvernante. Ce que les anciens gouvernements ravissoient par la guerre, nos modernes l’obtiennent plus