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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t6.djvu/332

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LETTRE D’HELVÉTIUS


privilèges, toujours opposés aux droits naturels de ceux qui les oppriment.

Je vous l’ai dit, je vous le répète, mon cher ami, vos combinaisons de pouvoirs ne font que séparer et compliquer les intérêts individuels au lieu de les unir. L’exemple du gouvernement anglois vous a séduit. Je suis loin de penser que celte constitution soit parfaite. J’aurois trop à vous dire sur ce sujet. Attendons, comme disait Locke au roi Guillaume, que des revers éclatants, qui auront leur cause dans le vice de cette constitution, nous aient fait sentir ses dangers ; que la corruption, devenue nécessaire pour vaincre la force d'inertie de la chambre haute, soit établie par les ministres dans les communes, et ne fasse plus rougir personne : alors on verra le danger d’un équilibre, qu’il faudra rompre sans cesse pour accélérer ou retarder les mouvements d’une machine si compliquée. En effet, n’est-il pas arrivé de nos jours, qu’il a fallu des impôts pour soudoyer des parlements, qui donnent au roi le droit de lever des impôts sur le peuple ?

La liberté même dont la nation angloise jouit, est-elle bien dans les principes de cette constitution, plutôt que dans deux ou trois bonnes lois qui n’en dépendent pas, que les François pourroient se donner, et qui, seules, rendroient peut-être leur gouvernement plus supportable ? Nous sommes encore loin d’y prétendre. Nos prêtres sont trop fanatiques, et nos nobles trop ignorants, pour devenir citoyens et sentir les avantages qu’ils gagneraient à l’être, à former une nation. Chacun sait qu’il est esclave, mais vit dans l’espérance d’être sous-despote à son tour.

Un roi est aussi esclave de ses maîtresses, de ses favoris et de ses ministres. S’il se fâche, le coup de pied qu’en reçoivent ses courtisans se rend et se propage jusqu’au