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DISCOURS

la suprême intelligence, elle entre dans le dédale de l’anatomie et les mystères de la chimie ; elle réforme les erreurs de la médecine, cette parque cruelle qui tranche tant de jours, cette science en même temps si étendue et si bornée ; on y attaque enfin la vérité par l’endroit le plus fort, et on la cherche dans les ténèbres les plus épaisses où elle puisse se retirer.

Aussi, messieurs, si l’on n’étoit animé d’un beau zèle pour l’honneur et la perfection des sciences, il n’y a personne parmi nous qui ne regardât le titre d’académicien comme un titre onéreux, et ces sciences mêmes auxquelles nous nous appliquons, comme un moyen plus propre à nous tourmenter qu’à nous instruire. Un travail souvent inutile ; des systèmes presque aussitôt renversés qu’établis ; le désespoir de trouver ses espérances trompées ; une lassitude continuelle à courir après une vérité qui fuit ; cette émulation qui exerce, et ne règne pas avec moins d’empire sur les âmes des philosophes, que la basse jalousie sur les âmes vulgaires ; ces longues méditations où l’âme se replie sur elle-même, et s’enchaîne sur un objet ; ces nuits passées dans les veilles, les jours qui leur succèdent dans les sueurs : vous reconnaissez là, messieurs, la vie des gens de lettres.

Non, il ne faut pas croire que la place que nous occupons soit un lieu de tranquillité ; nous n’acquérons par nos travaux que le droit de travailler davantage. Il n’y a que les dieux qui aient le privilège de se reposer sur le Parnasse : les mortels n’y sont jamais fixes et tranquilles, et s’ils ne montent pas, ils descendent toujours.

Quelques anciens nous disent qu’Hercule n’étoit point un conquérant, mais un sage qui avoit purgé la philosophie des préjugés, ces véritables monstres de l’esprit : ses