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LETTRES FAMILIÈRES.

d’Egmont : il est effectivement fort de mes amis, et un des seigneurs pour lequel j’ai le plus d’estime. J’accepte l’appointement de souper chez lui avec vous à son retour de Naples ; mais je crains bien que, si la guerre continue, je ne sois forcé d’aller planter des choux à la Brède. Notre commerce de Guienne sera bientôt aux abois ; nos vins nous resteront sur les bras, et vous savez que c’est toute notre richesse. Je prévois que le traité provisionnel de la cour de Turin avec celle de Vienne nous enlèvera le commandeur de Solar[1] ; et, en cas, je regretterai moins Paris. Dites mille choses pour moi à M. le marquis de Breil. L’humanité lui devra beaucoup pour la bonne éducation qu’il a donnée à M. le duc de Savoie[2] dont j’entends dire de très-belles choses. J’avoue que je me sens un peu de vanité de voir que je me formai une juste idée de ce grand homme, lorsque j’eus l’honneur de le connoître à Vienne. Je voudrois bien que vous fussiez de retour à Paris avant que j’en parte ; et je me réserve de vous dire alors le secret du Temple de Gnide[3]. Tâchez d’arranger vos intérêts domestiques le mieux que vous pourrez, et abandonnez à un avenir plus favorable la réparation des torts du ministère contre votre maison : c’est dans vos principes, vos occupations et votre conduite que vous devez chercher, quant à présent, des armes, des consolations et des ressources. Le marquis d’Orméa n’est pas un homme à reculer ; et, dans

  1. Ambassadeur de la cour de Sardaigne en France.
  2. Victor-Amédée-Marie, plus tard, en 1773, roi de Sardaigne sous le nom de Victor-Amédée III, mort en 1796.
  3. Il lui avoit fait présent de cet ouvrage lorsqu’il prit congé de lui en partant pour Turin, sans lui dire qu’il en étoit l’auteur. Il le lui apprit depuis en lui disant que c’étoit une idée à laquelle la société de Mlle  de Clermont, princesse du sang, qu’il avoit l’honneur de fréquenter, avoit donné occasion, sans autre but que de faire une peinture poétique de la volupté. (G.)