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LETTRES FAMILIÈRES.


d'où est partie la bêtise que l’on a fait courir sur votre compte : mais je n’ai réussi qu’à vérifier qu’on l’a dite, sans en déterrer la source. Je ne jurerois pas que vous ayiez tort de la soupçonner sortie de la boutique près de l’Assomption. Quand ou a un grand tort, il n’est pas étonnant qu’on cherche à l’excuser par toutes sortes de voies. Des tracasseries on va jusqu’aux horreurs. Mme Geoffrin est venue chez moi, à ce qu’il m’a paru pour me sonder ; elle n’a pas manqué de vous mettre sur le tapis d’un air moqueur ; mais j’ai coupé court en lui faisant sentir combien j’étois choqué de son procédé à l’égard d’un ami qu’elle sait bien que j’aime et que j’estime. Elle a été un peu surprise : notre conversation n’a pas été longue, et je me propose bien de rompre avec elle [1] . Je ne la croyois pas capable de tant de méchanceté et de noirceur. La duchesse d’Aiguillon est aussi choquée que moi de tout ceci : elle a péroré, avec la vivacité que vous lui connoissez, contre la futilité du soupçon

  1. On sait de bonne part qu’il dit à quelqu’un qu’il étoit si indigne, qu’il ne mettrait plus les pieds chez elle ; ce qui ne fut malheureusement que trop vrai, puisqu’il tomba malade quelques jours après, et mourut, à Paris, d’une fièvre maligne qui l’enleva en peu de jours. Il est sûr que cette rupture eût été en même temps l’apologie et la vengeance la plus complète de son ami.

    Mais Mme Geoffrin auroit de quoi se consoler de cette mortification domestique, par la célébrité qu’elle vient d’acquérir au moyen des gazettes. Elles ne font que parler de la grande figure qu’elle fait en différentes cours du Nord, à l’occasion de son voyage de Pologne ; car son mérite se trouvant trop resserre dans le cercle étroit d’une société privée, sans être arrêtée par son âge avancé, à l’exemple de la reine de Saba, elle a entrepris ce long voyage pour aller admirer le roi, qui avoit honoré sa société comme particulier. Nous apprenons par la Gazette de Leyde qu’elle exerce provisionnellement à cette cour la charge de Grand Bosfangi, et qu’elle médite d’aller briller à la cour de Saint-Pétersbourg, comme elle a brillé à celles de Vienne et de Varsovie. (GUASCO.)

    Pour être juste avec Mme Geoffrin, il faut lire son éloge par D’Alembert.